sortir de mon histoire

"A l'âge de 18 ans, j'étais partie de chez moi, de Stykersville, sans avoir la moindre idée de qui j'étais ou pourrais être; je savais seulement ce que je n'étais pas et ne voulais pas être: tout ce que j'avais connu jusque là. A Syracuse, je me bricolais une personnalité de pièces et de morceaux- à l'image des patchworks de ma grand- mère, faits de bouts de tissus disparates.On ne se préoccupe pas de l'origine des morceaux mais seulement de l'utilisation astucieuse qui en est faite(...)A Syracuse, j'eus quantité de nouveaux modèles à ma disposition (...)Ma prétendue personnalité avait toujours été un déguisement que j'enfilaisavec gaucherie et retirais avec des doigts distraits et perplexes;elle changeait au gré des circonstances, aussi mouvante qu'une cargaison non arrimée dans la cale d'un navire(...)Les personnalités que j'assemblais ne duraient jamais longtemps, tel un patchwork cousu à la va-vite, je tombais périodiquement en morceaux(...)Je trouvais pourtant un étrange réconfort dans ces effondrements; un plaisir pénétrant,amer, car j'étais alors forcée de penser.Maintenet tu sais ce que tu es, maintenant tu sais.Dépouillée, simple et belle comme des os d'un blanc étincelant, néttoyés de toute chair.Maintenant tu sais. Je vivais pourtant dans la terreur de tomber un jour en morceaux totalement et de façon irrévocable, de ne plus avoir assez de force, de volonté, de foi, pour me réassembler une nouvelle fois.Je ne doutais jamais que les autres, ceux que j'admirais fussent solides et entiers et non faits de pièces et de morceaux comme moi(...)Il y avait cependant ceux qui me ressemblaient, avec qui je me sentaisdes affinités furtives(...)"Je vous emmène", Joyce Carol Oates